• [Chapitre IV] Nathan

     

    Chapitre quatrième : NATHAN

     

                Cela faisait un moment qu’il était prêt, mais il restait quand même devant le miroir. Il se regardait sous tous les angles pour être le plus parfait possible.

     

      - Parfois, je me demande si tu n’es pas amoureux de toi même.

     

                Adossée contre la porte, Sophie attendait avec un sourire amusé. Etrangement, il ne l’avait pas entendue arriver et il se demandait depuis combien de temps elle était là.

     

      - Je ne vois pas de quoi tu parles, feignit-il.

      - Ça fait dix minutes que tu t’admires devant ton miroir.

      - Qu’est ce que tu en sais ?

      - Je te connais par cœur, Narcisse.

      - Un jour, il faudra quand même que tu apprennes à respecter ton grand frère ! Et à retenir son prénom, accessoirement, rigola-t-il. Alors, de quoi as-tu besoin ?

     

                D’un pas las, il s’avança vers sa sœur en ramassant son sac, sur le sol.

     

      - Je te rappelle qu’on a le même âge.

      - Je suis né cinq minutes avant toi, ça fait de moi l’aîné.

      - Peu importe. Alors, de quoi j’ai l’air ?

     

                Nathan haussa les sourcils.

     

      - Tu as la même tête que moi, tes cheveux sont courts et chât…

      - Je sais quelle tête j’ai, s’impatienta-t-elle. Ma tenue, ça va ?

      - Tu sors ? 

      - C’est ta rentrée aujourd’hui et c’est en tant que sœur responsable que j’ai l’honneur de t’accompagner, sourit-elle, fière.

      - C’était hier…

      - Quoi ? Oh non ! Moi qui voulais une excuse pour sortir un peu !

      - Si ce n’est que ça, pas besoin de rentrée pour que tu m’accompagnes, petite sœur. Alors, tu vas où ?

      - Je t’accompagne vraiment. J’ai juste envie de prendre l’air, je ferai peut être un tour à la plage. Alors, ma tenue ?

     

                Nathan observa les vêtements de sa jumelle. Elle adorait les couleurs vives, alors elle faisait toujours vérifier ses tenues avant de sortir. Ce jour là, elle avait opté pour un ensemble bleu et vert du plus bel effet.

     

      - C’est normal le serre tête rose ?

      - Sérieux ? Oh, je le confonds toujours avec le vert, on a fait la marque au même endroit !

     

                Un rire échappa à l’adolescent pendant qu’il observait la demoiselle courir dans la chambre située juste en face de la sienne, de l’autre côté du couloir.

    La cuisine était relativement grande, puisqu’elle ne faisait qu’une avec la pièce à vivre. Le carrelage était noir et les meubles modernes mais ce faible luxe rendrait hilare n’importe quel habitant de la ville haute. Il y avait beaucoup de fenêtres ; les jours de beau temps, la pièce était très lumineuse malgré la décoration sombre. Ce n’était pas une famille particulièrement riche. Un effort avait été fait pour la salle à manger, la pièce conviviale où se réunissait souvent la famille. Ca a bien changé, maintenant.

    Nathan sortit de ses rêveries et entreprit de préparer le déjeuner de sa sœur. Elle avait mis une minute pour revenir.

     

      - Et maintenant ?

      - C’est parfait, dit-il en enfonçant une tartine dans la bouche de la demoiselle. Tu es très jolie. Je vais préparer le vélo, va chercher Hermès.

     

                Il passa par une chambre aux teintures vertes peu éclairées pour prévenir sa mère de son départ, et de celui de sa sœur. Rapidement, il quitta la pièce avant qu’elle n’ait pu contester cette décision. La maternelle n’aimait pas laisser sortir sa fille.

                Avec un soupire, le jeune homme passa le seuil de sa maison. Il attrapa son vélo bleu et se plaça devant le portail, attendant sa frangine. Enfin, une touffe marron sortit de la demeure en aboyant, suivie de près par la jeune fille.

     

      - Ça faisait longtemps qu’Hermès ne s’était pas dégourdi les pattes. Il est intenable ! souri la châtaine.

      - Alors on va la faire courir un peu. Monte.

     

                Incertaine, Sophie posa ses mains sur le porte-bagage. Puis, elle s’installa inconfortablement et agrippa son frère.

     

      - Tu vérifies bien qu’il nous suit, hein ?

      - Mais oui ! Allez c’est parti !

     

                Sophie senti le vent sur ses cheveux. D’abord léger, puis de plus en plus fort. Elle savait qu’elle ne pourrait profiter de sa liberté qu’une dizaine de minutes et décida de se laisser aller à l’ivresse de la vitesse. Pendant les pentes, elle senti son cœur remonter en elle. Elle adorait ça. Les yeux clos et paisible, elle détacha les mains du corps qu’elle tenait trop fort pour les tendre sur les côtés. Elle avait l’impression de voler.

     

      - Ça va, princesse ?

      - Oui ! hurla-t-elle, la voix pleine de folie. Plus vite !

     

                Cet ordre insensé fit rire le blond. Malgré la pente déjà un peu raide, il pédala de toutes ses forces pour atteindre son allure maximale. Il n’allait jamais atteindre sa destination aussi vite, et il décida de faire un petit détour pour laisser le temps à sa sœur de profiter un peu. Il était rare qu’elle ait l’occasion. Pourtant, il allait falloir mettre fin à ce moment de répit. Le plus progressivement possible, Nathan ralenti devant l’entrée du lycée et aida sa jumelle à descendre, rougie par l’excitation. Aussitôt, la jeune fille appela Hermès, et récupéra sa laisse qu’elle serra contre elle, pour se calmer.

     

      - Tiens, tu viens accompagné, aujourd’hui ?

     

                Sophie ne connaissait pas les voix de tous les amis de son frère, mais celle-ci était sans doute la plus ancienne. Sa réaction fut instantanée.

     

      - Toms ! Tu vas bien ?

      - Oui. Toi aussi apparemment. Ca faisait longtemps.

      - C’est sur. Tan ne m’invite jamais à vos soirées !

     

                Le blond ne releva pas et observa son ami au sourire gêné. Lui aussi, pensait que leurs soirées ne convenaient pas à quelqu’un comme Sophie. Rien que de songer à comment s’était terminé la dernière… La jeune fille sembla trouver le silence trop long.

     

      - He oh, je blaguais ! Puis de toute manière, je ne suis pas une gamine naïve, je sais ce que vous faîtes.

      - Ce sont toujours les petites têtes qui nous surprennent les plus, lâcha Tommy en repensant à sa propre sœur.

     

                Nathan profita du rire clair et élégant de sa jumelle pour interroger son ami du regard. Il avait vu qu’il semblait fatigué aujourd’hui. Plus que d’habitude. Tommy allait lui donner une explication quand une tornade rousse se jeta sur lui. Plus tard, apparemment.

     

      - Oh, une nouvelle !

      - Shu, lâche-moi.

      - Shu ? demanda Sophie, incertaine.

      - Joshua, le meilleur ami de Tommy. Il n’y a que lui qui l’appelle comme ça.

      - Ah, souri la jeune fille en direction de l’adolescent. Je ne suis pas nouvelle, je suis la sœur de Nathan, je l’accompagne aujourd’hui.

      - T’as une sœur ! s’étonna le rouquin. Pourquoi tu me l’as pas dit !

      - Tu ne me l’as jamais demandé, rétorqua Nathan en haussant les épaules.

      - Hmmm. Mais tu vas pas au lycée ? C’est le seul de la ville.

      - Non, ce n’est pas le seul. Je vais dans un endroit spécial, ma rentrée est la semaine prochaine.

     

    Joshua eu l’air de réfléchir un instant. Puis, son visage s’illumina dans un étonnement enfantin.

     

      - Le lycée pour surdoués !

      - C’est sur que c’est pas toi qui ira là bas, ria Tommy.

      - T’exagères, il a de bonnes notes !

     

                Les trois hommes se mirent à rigoler et continuèrent de se chercher amicalement. Sophie se sentait exclue, mais décida de ne pas le dire. Elle serra la laisse d’Hermès pour lui indiquer leur départ.

     

      - Bon, je vais y aller ! Merci pour la ballade, Tan.

      - Ça ira pour rentrer ?

      - Je suis aveugle, pas autiste.

     

                Nathan regarda partir la jeune fille en direction de la plage. Il se demanda un instant ce qui aurait bien pu la vexer. Bien qu’impulsive, elle n’avait pas pour habitude de se moquer des autres maladies depuis sa cécité, et détestait les blagues et réflexions de ce genre. Tommy, qui avait la fâcheuse tendance de remarquer absolument tout ce qui tracassait ses meilleurs amis, le sorti de ses interrogations.

     

      - Invite la à la prochaine soirée, proposa Tommy. Ca lui fera plaisir.

      - Mais…

      - On fera attention à elle, t’en fais pas.

      - « T’en fais pas » ? s’indigna Joshua. Ça se voit que c’est pas toi qui a fait le pédé toute la nuit la dernière fois !

     

                Nouveau fou-rire. Seulement en apparence pour Nathan. Quelque chose pinça son cœur. Il n’éprouvait rien de plus que de l’amitié pour le roux -même si celui-ci faisait partie de ses fantasmes- mais il savait que malgré ses airs de gamins, il était intelligent. Assez pour ne pas placer de remarques homophobes inconsciemment. Le message était clair, il visait à réduire à néant tous les éventuels espoirs de l’homosexuel. Il n’en avait déjà aucun. Malgré tout, il décida de ne pas se vexer car il savait que malgré tout, il pouvait compter sur ses deux compagnons quoi qu’il arrive. Son sourire s’élargit tandis qu’il posait machinalement la main sur flan droit, pile sur sa cicatrice.

     

      - Bon on y va ? proposa Josh en mettant un terme à l’hilarité de ses amis. En même temps, Toms va nous raconter ce qui ne va pas.

     

                Lui aussi, avait remarqué. Ces trois là étaient tellement proches qu’ils n’avaient pas besoin de paroles pour se comprendre. Pour appuyer sa proposition, Nathan observa le brun avec un regard intense. La fatigue de son visage ne nuisait même pas à son charme. Il avait les sourcils trop épais, et la bouche un peu de travers, mais ses yeux étaient tellement sombres -presque noirs- et envoutants qu’ils avaient conquis la plupart des filles depuis le collège. Une peau lisse, un visage allongé et un grain de beauté sous l’œil gauche. Il était très beau. Chacun avait son charme et cette élégance les avait rendus populaires dans leur quartier. Etant inséparables, on les avait surnommé « les drôles de dames », à cause de leurs couleurs de cheveux et d’une présence homosexuelle dans le groupe.

    Ce n’était pas tant grâce à leur physique qu’ils étaient respectés et aimés. Aucun n’était particulièrement asocial, même s’ils ne voyaient pas grand intérêt à traîner avec ceux qui ne faisaient pas partie de leur groupe. Ensemble, ils étaient capables du meilleur comme du pire. Ils se contentaient cependant de ne pas s’éloigner de leurs activités d’adolescents, gardant leur fourberies pour les soirées, la plupart du temps. Au lycée, ils étaient plutôt calmes et relativement sérieux. Relativement. Joshua était déjà en train de se rouler un joint.

                Tommy commença à parler.

     

    ***

     

                Une odeur d’urine flottait légèrement dans l’air renfermé du métro. Ce désagrément avait cessé de le mettre mal à l’aise depuis un moment, et il n’y faisait plus attention. Compressé par la foule, il se faufila à l’intérieur de la rame. Les lumières éclairaient peu et à cette heure tardive, les usagers qui avaient la chance d’avoir une place assise somnolaient. Certains dormaient carrément.

                Nathan s’amusait à observer les gens. Une mince distraction pendant les vingt minutes de torture que constituait son trajet. Souvent, les mêmes visages, jamais les mêmes expressions. Exceptée une. Toujours assis à la même place, toujours le regard vague perdu dans le vide de la fenêtre noire, toujours la même tête mélancolique. Un homme, d’environs vingt-cinq ans, la peau noire, les yeux noirs et les cheveux, crépus, noirs. Nathan l’avait repéré. Chaque soir, en se rendant à son bar favori, il voyait son inconnu au fond, dans un coin. Il le détaillait, sans se cacher, et, parfois, leurs regards se croisaient. Nathan se fichait d’être vu. En général, il soutenait leur discussion silencieuse avec une pointe d’arrogance pour compenser son jeune âge et toujours, c’était l’inconnu qui détournait les yeux en premier, les rivant au sol avant de reprendre la contemplation des murs noirs des tunnels du métro.

                Un jour, il lui parlerait. Mais pas aujourd’hui. Il ne savait rien de lui. Il ne savait même pas où il montait ni où il descendait. Ce jour là, leurs regards ne s’étaient pas trouvés. La foule était telle que Nathan avait même du mal à l’apercevoir. C’était rare, tant de monde. Si bien qu’à son arrêt, il dû pousser les usagers pour avoir l’espoir de sortir. En se retournant une dernière fois, il le vit. Son regard. Aussi mélancolique qu’à son habitude, avec une pointe de lassitude. Un regard résigné. Les portes se refermèrent sans que Nathan ne soit sorti. Aujourd’hui. Il décida de le suivre jusqu’à sa station, il aviserait après. Pas particulièrement par timidité, mais il ne savait pas comment aborder un homme plus âgé et si solitaire.

                La fin du voyage s’effectua quatre arrêts avant le terminus. C’était près du Trou. Trop près, Nathan ne se sentait pas à son aise. Ce quartier lui était inconnu, mais il ressemblait beaucoup à celui dans lequel il vivait avant. Tout se ressemble ici.

                Il avait été entraîné dehors par la quasi totalité du wagon qui avait décidé de se décharger à cet endroit. Et à cause de cette foule, il le perdit encore de vue. Malgré tout, il était déterminé à le retrouver. Peut être même à savoir où il vivait, dans quel appartement. Le stalker, certes. Mais tout commençait par là. Instinctivement, il prit la direction opposée à celle qu’empruntait la majorité foule en sortant du souterrain. Il ne savait pas ce qui l’avait poussé à partir à l’aveuglette dans cette direction, c’était sans doute la même force qui l’avait empêché de rentrer chez lui. Il s’enfonçait donc dans les ruelles sombres et crades… se rapprochant du Trou. Trop à son goût. Son cœur battait si fort qu’il aurait pu transpercer sa poitrine. Des sensations familières d’insécurité et de danger lui comprimaient la poitrine. Il n’aimait pas le danger, contrairement à ses amis. Il avait peur. Mais ses jambes continuaient d’avancer. Le cerveau anesthésié par l’adrénaline, il peinait à penser. Désert. Silencieux.

                Enfin, un bruit. Un sifflement. Un cri. Un coup. Deux coups. Plusieurs. Plein. Trop. Une bagarre. Un règlement de compte ? Le cœur de Nathan chavira et une fièvre maladive l’envahit. Il était lâche. Fuir, fuir à toute jambes, maintenant. En se retournant il croisa à nouveau son regard. C’était lui, encore. Il se faisait tabasser. Pour quelle raison ? Près du Trou, n’importe quelle excuse justifie la violence. Quelque chose était différent du regard qu’il connaissait, il ne vit aucune mélancolie, aucune inquiétude. Juste de la peur. La même peur qu’il ressentait lui même. Puis un appel au secours, imploré dans ses yeux.

                Mais que pouvait-il faire ? Appeler la police ? Elle ne viendrait pas à temps. Corrompue comme toute cette ville. Dans la ville basse, les forces de l’ordre n’étaient d’aucun secours.

                Alors Nathan parti. Il passa son chemin, laissant son inconnu à son sort. Les pièces du puzzle s’assemblaient dans sa tête, expliquant ce magnifique spectacle de résignation qu’il observait tous les soirs. Son inconnu subissait le même châtiment chaque jour. Ca se faisait, dans le coin. Pour faire fuir les indésirables des cités. De mauvais souvenirs ressurgirent dans la mémoire du blond. Ce châtiment, il le connaissait. Il lui avait laissé des marques. Il ne voulait pas revivre ça, jamais.

                Tandis qu’il marchait en tentant de faire la sourde oreille à la torture à laquelle il était devenu le complice, les gémissements et cris de l’homme résonnaient dans son âme. Dans son dos, il avait l’impression que c’était à lui qu’on donnait des coups tant la voix de l’inconnu était enivrante. Puis, il y eut ce cri. Une voix claire, et cassée par la peur et la douleur. Une voix blessée, brisée. Une voix qui demandait de l’aide.

                A cet instant, le cerveau de Nathan cessa toute activité, et l’adolescent perdit toute conscience de ce qu’il se passait. Son corps enchaînait les mouvements sans qu’il ne puisse le contrôler. Il avait fait demi-tour et s’était lancé sur le groupe d’agresseurs, tentant d’imiter leur monstruosité. La surprise lui donna l’avantage, même s’il savait qu’il devrait trouver une ruse au plus vite. Il ne savait pas se battre, mais il savait bluffer. Se donnant de l’assurance, il les provoqua avec tant d’arrogance, qu’il vit le doute dans leurs yeux. Puis, il commença à sortir la main de sa poche, lentement. Il tenait son zippo fermement – peut être même trop – pour ne pas trembler. Dans la pénombre les délinquants ne virent qu’un reflet argenté. Evidemment, Nathan ne possédait pas d’armes, mais ça, ils ne pouvaient pas le savoir. Et puis le feu peut être une défense de fortune, en dernier recours.

     

      - Toms, Josh ! cria-t-il à l’intention d’une ruelle vide.

     

                Les agresseurs regardèrent en direction du sombre de la rue avec inquiétude. Ils étaient jeunes, et n’avaient sans doute pas l’habitude de se faire emmerder pendant qu’ils jouaient aux caïds. Quand un bruit sorti en provenance de l’endroit où ils avaient posé leur regard, ils prirent enfin la fuite. Nathan n’eut pas le temps de soupirer, que ses jambes lui firent défaut et il tomba au sol. Intérieurement, il se traitait d’inconscient tout en priant pour que la panique ne se lise pas sur son visage. Un chat s’avança vers lui. L’animal était responsable du bruit qui avait effrayé les trois autres. Nathan le caressa pour retrouver son calme. Il avait toujours attiré les bêtes.

                Le silence retrouvait sa place. Puis Nathan posa son regard son l’inconnu qui le dévisageait. Aucun son ne pouvait sortir de sa bouche entrouverte par l’étonnement. Malgré les bleus et les hématomes, il était attirant. Nathan, lui, ne savait pas quoi dire. C’était la première qu’il venait en aide à quelqu’un, d’habitude, c’était lui qui avait besoin d’être sauvé. Par réflexe, il posa à nouveau sa main sur la cicatrice de son flanc. Comme pour s’assurer qu’elle était toujours là, que c’était bien lui qui venait d’accomplir ce prodige d’inverser les rôles. Il ne savait pas ce que devait dire le Prince Charmant après son exploit héroïque. Son cerveau toujours aussi déconnecté, ses lèvres bougèrent d’elles mêmes, sans attendre d’ordre.

     

      - Pourquoi ils te font ça ?

     

                L’homme ne répondit et baissa les yeux en regardant ses mains. A cause de sa couleur.

     

      - Pourquoi tu ne vas pas vivre ailleurs ?

     

                Le regard de l’inconnu avait déjà fuit plus loin encore, sur le côté.

     

      - Je ne reviendrai plus ici. Viens au Dash ce soir. C’est le bar en face de mon arrêt de métro. Tu sais lequel c’est.

     

                Enfin, il accepta de lever les yeux pour regarder Nathan. Visiblement, il ne comprenait pas pourquoi il lui demandait ça. Il était perdu et encore sous le choc. Mais un genre de détermination passa dans ses yeux. Une étincelle si brève que Nathan avait failli ne pas la voir. Le jeune homme tourna les talons et parti en murmurant.

     

      - Je t’attendrai.

     

     

    ***

     

      - Tu as trouvé ton bonheur ?

     

                Absorbé par le vide de son verre, Nathan n’avait même pas pensé à observer les autres clients du bar. Ses yeux firent rapidement le tour de la petite pièce emplie de boiseries et jugea d’un œil expert les hommes en présence. Un seul suscitait son intérêt, mais il était déjà en train de faire la cour à un autre.

                Nathan se tourna vers l’employé. L’homme aux cheveux colorés (verts, ce mois-ci) était frêle et efféminé, avec des allures androgynes. D’un naturel surexcité, pipelette et souriant, il était le stéréotype même de la communauté gay. Plus cliché, tu meurs.

     

      - Non.

      - Je termine mon service à deux heures, souri-t-il.

     

                Nathan soupira. Il trouvait de moins en moins de partenaire d’une nuit à sa convenance. Il était exigeant. Alors, ce barman était devenu son éternel plan B. Ce jeu dangereux était loin d’être cruel, Nathan se permettait de traiter l’employé ainsi parce qu’il était le seul qui n’en serait jamais blessé. Physiquement, il était loin de son idéal, mais leurs parties de jambes en l’air l’avaient rapidement convaincu de l’intérêt de leur pratique. De loin le meilleur coup qu’il n’ait jamais eu. Seulement ce soir, Nathan avait espéré voir une personne en particulier. Un ténébreux aussi noir que séduisant. Plus âgé mais plus fragile. Sa simple vue faisait tourner la tête du blond dans les abysses sombres et profonds du désir.

                C’était étrange, il avait toujours su anticiper la réaction des gens. Suite à leur interaction, Nathan était persuadé que son bel inconnu viendrait au rendez-vous. Il se refrogna et commanda un autre whisky. Le barman ne fit pas de commentaire, sachant déjà comment il allait le conforter. Il prit la parole en posant la commande de son ami sur le comptoir.

     

      - Tu ne me vexeras pas en m’avouant que ce n’est pas moi que tu voulais. Allez, dis moi qui tu attends.

     

                Pour seule réponse, le blond avala sa boisson d’une traite, abordant une grimace saumâtre.

     

      - Si tu veux me donner un autre nom tout à l’heure, je…

      - Je ne sais même pas comment il s’appelle, coupa Nathan.

      - Oh, il y avait bien quelqu’un alors.

     

                Il réfléchit un instant.

     

      - Ecoute, je ne ferais pas ça pour n’importe qui, mais si tu veux te bander les yeux pour imaginer que…

      - Non, tu ne mérites pas ça, soupira le blond. Mais vraiment, qu’est ce que je ferais sans toi ? ajouta-t-il, en guise de remerciement.

      - Etre une consolation a quelque chose d’excitant, répondit X dans un haussement d’épaules. Et sans moi, tu serais en train de forniquer avec le type à lunettes qui te mate depuis tout à l’heure, précisa-t-il avant de repartir vers ses autres clients.

     

                Nathan se retourna sans conviction. L’homme avait du charme et presque à son goût. Plus vieux, lui aussi. Ah oui, sans doute. Dans une absence totale de réaction face au sourire qui lui était adressé, il retourna à la contemplation du verre qu’il tenait entre les mains. Vide. Pour ne pas s’enfoncer encore plus dans son humeur maussade, il porta son attention sur X. Souvent, il se demandait comment faisait cet homme pour être aussi enjoué. Il le scrutait avec attention, sans même tenter de se faire discret. X était ouvert à tout le monde, et repartait tous les soirs avec un client différent. Insouciant, sans attache. Nathan l’enviait. Il voulait être aussi… libre. C’était pour l’imiter qu’il avait pris l’habitude de faire son choix parmi des clients dont il ne connaissait même pas le nom. L’adolescent se sentait grandement immature puisqu’il avait un sentiment de vide à chaque fois qu’il sautait un inconnu. Seule une relation pouvait le contenter, il le savait. Son sourire s’emplit d’amertume. Jamais il ne l’avouerait, bien sûr. Il fallait être fou pour croire encore aux histoires romantiques.

                D’un geste las, il se tourna pour observer les nouveaux arrivants. L’ambiance chaude et rustique de l’établissement lui montait à la tête et il eut un vertige en voyant le groupe déjà ivre avancer bruyamment. Il allait se morfondre encore plus quand il le vit. Au fond, dans l’ombre d’un coin, l’observait en cachette une silhouette noire. Nathan se redressa rapidement en abordant un sourire hautain et suffisant qui n’échappa pas à X.

     

      - Dommage. Je vais me contenter du binoclard pour ce soir, amuse toi bien. La chambre rouge est disponible, souffla-t-il en rigolant.

     

                Nathan alla se placer en face de l’homme incertain qui le dévisageait timidement, le regard brillant.

     

      - Je suis Nathan. Ton nom ?

      - Stéphane.

     

                Un accent créole. Nathan sourit de plus belle pour cacher qu’il était en train de fondre littéralement. Il vola sa main et l’emmena à la chambre rouge de l’étage. Celle qui lui était réservée.

                Stéphane n'était pas venu pour une histoire d'un soir. Aveuglément, Nathan s'engouffrait dans une relation. La folie a du bon.

    [One Shot] Perle

     

    Nolwy ©


  • Commentaires

    1
    Manon(Myuii)
    Mardi 9 Juillet 2013 à 09:32

    Le dash, n'est ce pas le même bar que dans pieces of hope ? 
    Bref, tes chapitres se suivent et dans le même arrivent à creer à chaque fois une intrigue spécifique à chaque personnage, c'est vraiment bien fait, et vraiment bien écrit ! Dans tout les cas je te félicite et j'attends impatiemment ton prochain chapitre :) 

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