• [Chapitre II] Tommy

     

    Chapitre deuxième : TOMMY

     

                Tommy ouvrit difficilement les yeux. Il faisait si sombre qu’il crut un instant qu’il faisait encore nuit, mais au bout d’un moment, il constata que des rayons de soleil traversaient laborieusement les volets clos. S'assoir fut une épreuve et il lui fallu du temps pour que ses yeux s’habituent à la pénombre : il dû les cligner plusieurs fois pour que le monde reprenne sa netteté. Les cadavres de bières - et d’autres alcools forts - étalés partout sur le sol, au milieu des cendriers pleins à craquer n’étaient pas surprenants, ils permettaient à Tommy de remettre des images sur la soirée qui avait fini bien plus tard que prévu. Enfin, il parvint à se lever et se mit en quête d’un visage connu parmi les diverses masses affalées sur le sol, les divans, la baignoire et tout autre coin possible de contenir un ou plusieurs corps. Tommy alluma une cigarette, pris ses affaires, et enjamba tant bien que mal les inconnus avec lesquels il venait d’enfreindre quelques lois. Un gémissement. Une ex. Nue. Alongée sur le canapé, dans les bras d’un jeune avec des dents de lapin. Il passa sans s’en soucier, il avait vu bien pire à de nombreuses reprises, à commencer par la fête de la veille qui avait fini en orgie dans certaines chambres. Il arriva enfin dans le salon. Une violente odeur de weed lui donna la nausée. Retournant quelques têtes afin de reconnaître ses amis, il se rendit vite compte que ceux-ci n’allaient pas se réveiller, ou du moins, pas se lever. 

                Il n’eut aucune difficulté à retrouver celui qu’il cherchait : son meilleur ami avait des cheveux roux, mi longs, et légèrement ondulés qui se repéraient de loin. Sans effort de discrétion, il s’approcha de lui pour entendre son souffle fort et régulier. 

      

      - Shu ! tenta le brun en le secouant légèrement. 

      - Il dort, souffla une voix derrière lui. 

      

                Tommy n’avait pas remarqué Nathan, le blondinet qui serrait Joshua dans ses bras. Il ne s’en étonna pas. Drogué et ivre, Joshua avait passé la soirée à enlacer son ami. 

      

      - Shu, t’es pas gay… 

      - Ne décide pas à sa place ! se plaint Nathan. 

      - Vous avez pas… 

      - Non, je ne profite jamais de mes amis dans un moment de faiblesse… 

      

                Nathan toisa le rouquin endormi tout près de lui, dont le visage était recouvert de tâches de rousseurs. Malgré ses traits enfantins, il était très séduisant, avec un côté attachant qui ne laissait personne indifférant. Il respirait par la bouche, ce qui dévoilait ses dents blanches recouvertes par un appareil dentaire. Ce morceau de métal complétait son charme en feignant une innocence purement illusoire. 

      

      - Même si je devrai, soupira finalement Nathan. 

      - T’es trop gentil pour ça, Tan… 

      - Je sais. Tu t’en vas déjà ? 

      - Oui. Je reviendrai cet après-midi pour aider à ranger. L’oncle de Shu rentre demain ? 

      - Je crois, oui. 

      - Ok, à tout’, lança le brun. Tu sais, pour la rentrée, compléta-t-il n’entendant pas de réponse. 

      - Ah oui ! 

      

                Tommy sourit. Il se pencha, et ébouriffa les cheveux de son meilleur ami en prenant soin de ne pas lui souffler la fumée de sa cigarette dans la figure. Puis, il se tourna vers Nathan et déposa un léger baiser sur ses lèvres. 

      

      - Si tu veux éviter que je tombe sous ton charme, c’est pas la bonne technique, Toms ! lacha le blond, amusé. 

      

                L’adolescent parti en lui lançant un signe de main. Nathan et lui s’amusaient souvent à ce jeu de séduction, même si tous deux savaient que ça restait un jeu et rien de plus. Si un seul des deux venait à se poser des questions, ne serait-ce qu’un instant, ce serait leur amitié toute entière qui risquait d’être irrémédiablement ébranlée. Ils étaient comme des frères et aucun des deux n’accepterait une rupture aussi stupide. 

                Tommy sortit de la grande maison. Il avait l’habitude de venir ici. La villa immense était bien trop grande pour leur trois occupants malgré la femme de ménage et le jardinier ; et ceux-ci adoraient recevoir de la visite. Dans une symétrie parfaite, le jardin entourait l’habitation laissant chaque invité sans voix devant la beauté du spectacle. Cette maison ressemblait à un château miniature, et ce n’était même pas la plus grande demeure de Massilia. Elle n’avait pas de piscine, et la totalité du terrain malgré sa splendeur, faisait mille cinq cent mètres carré, ce qui était ridicule en comparaison des maisons voisines. 

    Lentement, Tommy sortit de la ville haute, et entra dans le quartier résidentiel très modeste de la ville basse. Près du port, les maisons étaient petites et ternes, mais au moins, elles n’étaient pas trop près des immeubles du nord. Assez loin des quartiers vraiment dangereux, de la crasse et du grillage qui séparait la banlieue du Trou. Il poussa sur un portail en fer rouillé en faisant le moins de bruit possible, et pénétra dans la maisonnette avec tout autant de discrétion. Il commença par prendre une douche, et se changer. Puis, il mit en route une machine de linge, avec ses vêtements de la veille, et ceux qui se trouvaient dans la corbeille, remplie par le reste de sa famille. En prenant son sac pratiquement vide, il descendit dans la cuisine. 

    Ranger entièrement la pièce était une de ses habitudes. Dans un style assez ancien essentiellement constitué de vieux meubles en bois, la cellule était étroite et oppressante. Malgré cela, Tommy s’acharnait à la nettoyer de fond en comble tous les matins, ce qui donnait à l’endroit le charme que possèdent les vieilles maisons. Une fois qu’il eut fini, il mit une poêle sur le feu, et, quand elle fut assez chaude, il y plaça deux tranches de bacon, et un œuf. Il mit à chauffer de l’eau, du lait, et lança la machine à café. Finalement, il entendit la porte de l’entrée claquer. Après quelques pas lourds, il vit son père se présenter dans l’entrebâillement de la porte. Il avait des cernes sous ses yeux noirs, qui peinaient à rester ouverts. 

      

      - Bonjour, fils. 

      - Comment ça s’est passé, au boulot ? 

      

                En guise de réponse, l’homme âgé d’une quarantaine d’années posa une main sur l’épaule de son fils, et s’assit sur une chaise devant la table recouverte d’une toile cirée bordeaux. Tommy n’insista pas. Il savait qu’être gardien de nuit dans la base militaire de la ville était épuisant. Déjà parce que c’était un travail de nuit, ensuite, parce qu’il ne s’y passait rien. Son père surveillait la section ouest, celle qui n’avait rien à garder. Pour cela, il était le seul gardien de cette section, et personne n’y mettait jamais les pieds. 

                Tommy mit le contenu de la poêle dans une assiette, qu’il plaça devant son père, accompagné d’une tasse dans laquelle il versa l’eau qui venait de chauffer. 

      

      - Merci, dit simplement le quadragénaire 

      - Tu prendras quelle tisane ? 

      - Au tilleul. 

      - Tiens. Et va te coucher, tu sembles épuisé. 

      

                L’homme ne se fit pas prier, et, dès qu’il eut fini son repas, il se dirigea vers la chambre. Peu après, sa femme sorti de cette même pièce. 

      

      - Bonjour, Toms. 

      

    Tommy fit une bise à sa mère, et plaça sur la table une tasse de café, une assiette de tartines et des fruits. Quand il vit enfin sa petite sœur arriver l’air endormi, il finit de préparer le chocolat chaud, posa la tasse devant elle, et s’installa sur la chaise d’en face. Après quelques formules d’usage, les trois entamèrent leur repas. 

      

      - Tu emmèneras Angèle à l’école aujourd’hui. C’est sa rentrée. 

      - Je suis plus une gamine ! 

      

                La maternelle lança un regard réprobateur, et l’enfant se tut. Angèle avait douze ans, et le seul collège public de la ville se situait à proximité du Trou. La famille qui faisait beaucoup d’efforts pour vivre au calme dans la banlieue, et n’avait pas les moyens de payer l’école du quartier. Le collège public n’était rien pour les habitants des quartiers nord, mais pour les autres, il était plus que menaçant. 

                A la fin du déjeuner, Tommy se chargea du rangement de la tablée tandis que les deux femmes allèrent se préparer. Il avait encore du temps, alors il étendit le linge de la machine qu’il avait lancée, une heure plus tôt. 

      

    *** 

      

                Toms et Angèle marchaient dans les rues qui se faisaient de plus en plus étroites. La fille n’avait pas peur : cela faisait un an qu’elle fréquentait ce collège et elle avait trouvé le moyen de se faire respecter, en fréquentant les bonnes personnes, en sachant à quel moment se taire, et à quel moment ne pas se laisser faire. Son allure de garçon manqué était plus une nécessité qu’un choix, mais elle s’y était faite et ne s’imaginait pas porter de jupe à nouveau, même après le collège. Ceci dit, elle appréciait les ballades avec son frère. Elle savait aussi que le jour où elle voudrait sortir, il la couvrirait. Après tout, elle faisait de même pour lui. 

      

      - Tu as encore passé la nuit dehors. 

      - Huuum… Dois-je offrir une glace à sa Majesté pour obtenir son silence ? 

      

                Outrée, Angèle lui lança un regard foudroyant. Quand elle vit le sourire moqueur de son aîné, elle se contenta de détourner la tête avec une moue boudeuse. 

      

      - Je suis plus une gamine, murmura-t-elle. 

      - Tu veux sortir après les cours ? Ne t’inquiètes pas Petite Tête, je vais… 

      - Je veux aller voir Noah, coupa-t-elle. Je sais que tu y vas souvent. 

      

                Tommy ne s’attendait pas à ça. Ils n’abordaient jamais le sujet. Il l’observa, désolé. 

      

      - Mais les parents ne veulent pas que tu… commença-t-il. 

      

                La cadette soutint son regard avec insistance. Elle savait qu’elle avait déjà gagné. 

      

      - Je suppose que ce s’rait injuste de te refuser ça. Je viendrais te chercher après le repas. Tu pourras te débrouiller seule en attendant ? 

      

                Angèle acquiesça les yeux pétillant de joie et le sourire aux lèvres. 

      

    *** 

      

                Tommy ne fut pas surpris de n’avoir aucun de ses amis dans sa classe. Comme l’année précédente, il était le seul à faire des études littéraires. Tous étaient partis dans les sections économiques ou scientifiques. Assis au fond de la salle, il regardait les filles discuter vivement de leurs vacances, et s’enlacer sans modération. A part lui, il n’y avait qu’un seul garçon. Odilon. Malgré son année d’avance sur les autres, ses résultats étaient encore insuffisants. Avec ses yeux bleus extrêmement clairs, ses cheveux ras sur le côté mais un peu plus long sur le sommet du crâne et son tatouage sur le bras droit, le jeune homme faisait frémir toutes les filles. Il restait exclusivement avec les plus ouvertes, et Tommy le soupçonnait d’avoir choisi cette section uniquement pour s’en rapprocher et les séduire. C’est sans doute pour ça qu’il n’avait jamais pris la peine de lui parler. 

                Quant aux filles… Tommy n’arrivait pas à entrer dans leur monde. La plupart se déclaraient lesbienne, mais il était sûr que très peu le pensaient vraiment. Par dessus tout, il détestait ceux qui prétendaient pour se donner une fausse image. 

    Une blonde à la peau mate qui n’était pas dans sa classe en première s’installa à côté de lui. Il n’était pas asocial, mais il n’avait pas non plus l’intension de faire sa connaissance, blasé par le comportement de ses camarades. Son attention se porta sur une fille aux cheveux en partie décolorés qui embrassait goulument une amie, et des bruits similaires à ceux d’une ventouse résonnaient dans la pièce. Même si tout le monde voyait qu’elle ne pensait qu’à se faire remarquer, Tommy savait en plus qu’au collège, elle se vantait que tous les garçons de l’établissement lui étaient passés dessus. Lui aussi, avait profité de la fête de fin d’année de seconde pour la chevaucher ; elle ne demandait que ça. Il poussa un soupire qui n’échappa pas à sa voisine. 

      

      - Je ne leur donne pas une semaine, lança-t-elle en souriant. 

      - Deux jours. 

      - On pari un repas à la cafette ? 

      

                En fin de compte, la journée ne serait pas perdue. Sentant l’étincelle pétiller dans ses yeux sombres, il lui sourit à son tour. Un pari ? Il adorait ça. Quand il vit les traits de la jeune fille parcourus de malice, il ne résista pas. Il lui tendit la main. 

      

      - Tenu ! 

      - Je suis Kathy. 

      - Tommy. 

      

    *** 

      

                En entrant dans le bâtiment gris, il fit face à un garde en uniforme qui le dépassait d’une tête. Chauve et gras, avec des petits yeux de rats qui voyaient tout. Il observait Tommy, puis l’enfant qui se tenait derrière lui. 

      

      - C’est pour une visite. 

      - Les enfants ne sont pas autorisés à entrer sans accompagnateur. 

      - Je l’accompagne. Je suis majeur. 

      

                Tommy tendit sa carte d’identité et la précieuse autorisation. Il avait dix-huit ans depuis peu, mais même avant, il n’avait jamais eu de problèmes pour entrer. Seulement avant, il connaissait le gardien. 

      

      - Vous êtes de sa famille ? 

      - Son frère. 

      - A qui venez vous rendre visite ? 

      - Noah. Noah Decombes. 

      - Bien. Vous êtes déjà venu ? Vous connaissez la procédure ? 

      - Oui. 

      

                Ils passèrent la première grille. Evidemment, le garde ne connaissait pas le nom de tous les détenus, mais le ton qu’il avait employé ne le trahissait pas. Tommy savait très bien que ce genre de questions était une façon de l’intimider. Le message était clair : une petite fille n’avait rien à faire dans une prison, même pour une visite. Tommy entra dans le hall et se dit que c’était peut être la seule pièce un minimum accueillante dans ce bâtiment. Les murs – inlassablement gris – étaient plus clairs que tous les autres, et un effort particulier avait été effectué sur la propreté. Pour unique élément de décoration, une plante desséchée tentait se faire une place sur le bureau. Tommy se dirigea vers l’accueil, et fut heureux de constater que la secrétaire, elle, n’avait pas changé. Agée d’une trentaine d’années, la femme aux cheveux ternes portait de petites lunettes, et son uniforme ne la mettait pas en valeur. Elle avait eu le nez cassé, ce qui lui laissait une cicatrice discrète. Elle n’était pas jolie, mais une prestance émanait d’elle. Une prestance qui imposait le respect. 

      

      - Bonjour Cloé. 

      - Tommy, ça faisait longtemps, dit-elle en sortant le formulaire. Tu as le justificatif ? 

      

                Tommy montra l’autorisation. Au début, il avait du mal à les obtenir, cela prenait parfois un mois. Mais plus le temps passait, plus il les recevait rapidement. Pourtant cette fois, il l’avait reçu au bout de six semaines. Sa poitrine explosait d’impatience. Il n’attendait jamais plus d’une semaine avant d’entamer une nouvelle procédure auprès du directeur du pénitencier. 

      

      - Il est là depuis longtemps, le gorille ? 

      - Non, il a été affecté jeudi dernier. Il est gentil. 

      - Si tu le dis… Ah, j’ai aussi besoin d’un formulaire pour mineurs. 

      

                Cloé l’interrogea du regard, et baissa la tête pour découvrir Angèle, qui n’avait pas sorti un mot depuis leur arrivée dans le bagne. Aussitôt, la femme toisa Tommy et plissa les yeux. « J’espère que tu sais ce que tu fais. » Il décida de ne pas y faire attention, et dès qu’il eut finit de remplir les formulaires, il les tendit à Cloé, qui y déposa un tampon. 

      

      - Merci. 

      

                Une de ses mains prit les documents, l’autre agrippa le poignet de sa soeur, et il se dirigea dans le couloir en prenant la main de sa sœur. Arrivé devant une grille, il tendit tous les formulaires au garde, ainsi que leurs deux cartes d’identité. Il passa la barrière sans difficulté, mais s’arrêta au bout d’une dizaine de mètres, devant une nouvelle grille. Il dût renouveler l’opération plusieurs fois. Passée dernière porte, il entra enfin dans une pièce avec un gardien à chaque coin. Plusieurs tables étaient disposées au hasard. Choisissant aléatoirement, il s’assit à l’une d’entre elles et patienta en détaillant les lieux qu’il avait vus des dizaines de fois déjà. Gris et usés, à l’image de la ville basse. Le haut des murs était fissuré. Une seule fenêtre, très en hauteur, était recouverte de barreaux épais et serrés. Certains néons clignotaient dans un bourdonnement énervant. Tommy avait trop l’habitude de cette pièce pour en ressentir le malaise, mais il savait que derrière le mur épais qui les séparait des autres internes, l’atmosphère était encore pire, et le confort inexistant. Quant aux conditions de vie… il préférait ne pas y penser. 

                Il jeta un regard anxieux à Angèle. Celle-ci ne semblait pas impressionnée, mais il savait qu’elle se forçait pour garder sa contenance ; alors il vérifia qu’aucun détenu ne la regardait avec trop d’insistance, et fut soulagé de constater que dans les parloirs, le temps des visites était tellement limité que personne ne prêtait attention aux autres. 

                Enfin, il entendit la lourde porte racler le sol dans un bruit désagréable. Un garde qui accompagnait Noah lui retira ses bracelets argentés, et le condamné scruta la pièce, à la recherche de Tommy. Les deux hommes se regardèrent un moment, puis, le plus âgé s’approcha. Ils se saluèrent d’une longue étreinte. C’est Tommy qui y mit fin à contre cœur. 

      

      - Je ne suis pas venu seul, cette fois, dit-il en s’asseyant. 

      

                Angèle toisa l’homme de vingt-deux ans. Elle lu la surprise sur son visage, et essaya de refouler les larmes, qui lui montaient aux yeux. Puis, elle secoua la tête et, épuisée de se retenir depuis si longtemps, se jeta dans ses bras. Enivrée par la chaleur de son corps, elle fit semblant de ne pas remarquer son odeur et sa faible carrure. Bien trop frêle, bien plus maigre que l’homme qu’il avait été. Cette fois, ce fut Noah qui entreprit de la lâcher, après un long moment. 

      

      - Tu as grandi, Petite Tête. 

      

                Contrairement à son habitude, l’enfant ne protesta pas, trop émue de revoir son frère après tout ce temps. 

      

      - Les parents l’ont laissé venir ? 

      - Tu imagines bien que non, murmura Tommy. Ils… ils ont encore du mal. 

      - Mais ça fait deux ans ! 

      - Ce n’est pas contre toi. Ils ont juste peur. Tu sais, ils ont pensé aux UVF mais… 

      - C’est quoi ? intervint Angèle. 

      - Une unité de visite familiale. C’est une maison qu’on prête à la famille pour un week-end. Mais ils sont encore rares, et c’est autorisé que pour les détenus qui ont une lourde peine. Supérieure à dix ans. 

      

                Noah ne dit rien. Il se contenta de baisser la tête. Il aurait aimé voir ses parents, pour une fois. Il avait évité la folie grâce aux nombreuses visites de Tommy, mais il se sentait faiblir mentalement de jour en jour. Soudain, il lança un sourire à sa petite sœur. 

      

      - Alors, Petite Tête ! Comment ça va, à l’école ? 

      - Je suis au collège. 

      - Je sais. Tu es devenue grande. Tu es encore plus jolie qu’avant ! 

      - On en parle jamais à la maison. Tu peux me le dire maintenant. Tu peux me dire comment tu vis. Je veux que tu me dises la vérité. 

      

                Tommy regarda sa sœur. Elle était encore plus courageuse qu’il ne le pensait. A lui non plus, Noah ne disait rien à ce sujet. Mais il n’avait jamais osé lui demander. Il savait pourtant que le taulard avait besoin de parler. Il n’avait osé l’aider. Il savait aussi que cette maison de détention était correcte, en comparaison de celles que l’on trouve dans le pays : des médecins et des psychiatres rendaient régulièrement visite aux détenus. Mais une prison restait une prison, dans toute son horreur. Les yeux sombres de Noah s’obscurcirent encore plus, et il baissa la tête. 

      

      - Ce n’est pas si terrible, commença-t-il. 

      - Je sais, l’interrompit Angèle. Je veux que tu me le dises. 

      - La vérité, ajouta Tommy pour l’encourager. Angèle est à Bonaparte, ses oreilles ne sont plus chastes depuis un moment. 

      - Toms… implora l’aîné. 

      

                Le regard de Noah s’emplit d’une tristesse sans précédant, et, dans un ultime effort, il commença à parler. Cru, dans tous les détails. Mais ni Angèle, ni Tommy ne cillèrent. Ils ne firent aucune remarque, et écoutèrent en silence. Noah n’omit aucun élément. Les gardiens, les repas, les temps-libres, le travail forcé, les douches communes, la brutalité, l’ennui… La rage. Le mépris. La folie. Quand enfin il en arriva à parler des violences sexuelles qu’il subissait par son partenaire de cellule, il ne put soutenir leur regard, et continua plus bas, les yeux clos, dans une honte et un dégoût qui lui faisaient horreur. Machinalement, ses mains vinrent envelopper son visage pour le cacher plus encore. Rien que l’évocation de sa torture quotidienne le terrorisait au point que son corps tremblait de toute part. C’était un supplice auquel on ne s’habituait jamais. Sa voix finit en murmure avant de finalement disparaître dans le néant. Son récit était loin d’être finit. Il n’en pouvait plus. Chaque mot qu’il avait laissé s’évader lui infligeait une blessure physique, affaissant toujours un peu plus son corps. Sans la force de continuer, se faire violence était inutile. Brisé, il offrait la vision d’un jeune homme recroquevillé et affalé sur lui même. Mais, ni Angèle, ni Tommy ne cillèrent. Ne sachant pas quoi dire, ils se contentèrent de lui prendre les mains et de lui faire sentir leur présence. Le forcer à finir serait cruel et de toute manière, aucun mot ne pourrait atténuer sa souffrance. Il ne mérite pas ça. 

                Quand, au bout d’une demi heure, le gardien mit fin à la visite, Noah essuya ses yeux qui ne pleuraient même pas et sourit à sa famille. Il se forçait, mais les deux autres virent qu’il semblait un peu apaisé. Un peu, seulement. 

      

      - Je reviendrai, dit Angèle. Et je te raconterai le collège. 

      - A bientôt, frangin, dit Tommy en serrant l’épaule de son frère. 

      

                Ils regardèrent Noah retourner dans son enfer, les fer aux poignets et le dos vouté. Ils partirent, sans un mot. Tommy ne salua même pas Cloé lorsqu’elle lui adressa un sourire. 

                Ils passèrent la grille extérieure main dans la main et se retournèrent. Le bruit sourd et métallique de la clôture mit définitivement fin à la visite, et le benjamin pris sa sœur dans les bras. Ils tentèrent de se consoler en silence.

    [Chapitre I] Océane

     

    Nolwy ©


  • Commentaires

    1
    Ingrid(dudessin)
    Dimanche 11 Novembre 2012 à 21:58

    Et bien et bien. 

    Tommy n'a vraiment pas la vie facile. Le fait de fumer, faire des soirées avec ses potes, c'est exactement le stéréotype de l'adolescent d'aujourd'hui, tu représentes vraiment bien la vraie vie. Les filles qui veulent se faire remarquer, les populaires qui ne pensent souvent qu'à leur succès auprès des filles, l'échec total quoi. 

    L'histoire du pari est pas mal, surtout avec Kathy, je ne sais pas si tu avais l'intention de le faire mais tu pourrais la développer et créer quelque chose entre les deux adolescents grâce à ça. Pas forcément des sentiments à l'eau de rose, mais peut-être une haine, ou une amitié, c'est toi qui vois :3 je me demande aussi si tu vas écrire un chapitre sur Nathan, ce personnage à l'air plutôt sympathique, surtout avec son petit jeu avec Tommy. Peut-être qu'il y a une attirance derrière tout ça? Je ne sais pas, mais ça m'intéresse :D

    En fait, tous les personnages m'intéressent, Joshua aussi :3 Dans ce chapitre on le découvre juste endormi, mais ça serait cool de le revoir dans un autre (je pense que tu le remettras d'ailleurs xD). L'histoire de Noah est tellement réaliste, franchement. La violence entre détenus dans les prisons, c'est vraiment ça. Et en plus de ça, tu rends vraiment la chose encore plus proche de la réalité en parlant des violences sexuelles, et pour ça je te dis chapeau. 

    Par contre le seul point qui me turlupine, c'est le fait que la petite demande à son frère de lui raconter tout ce qu'il subit. Même si à cause de son collège elle est devenue plutôt "insensible" (si j'ai bien compris), à 12 ans, c'est quand même dur de demander à son frère prisonnier.. 

    Tes personnages sont vraiment touchants. Ton histoire aussi.

    Vive toi ô déesse !

     

    2
    Lundi 12 Novembre 2012 à 02:13

    Merci pour tes commentaires !

    Je les prends tous en note et je fais de mon mieux pour contenter mon peu de lecteurs ;p Du coup, je lis chaque commentaire avec attention, et ils m'aident à m'améliorer.
    Oui, en effet, Angèle est hyper mature, carrément plus que la plupart des gens de son âge, je l'ai crée de cette manière. Je dois aussi avouer que j'ai de plus en plus de mal à me mettre dans la peau d'une gamine de 12 ans xP 
    T'en fais pas, Joshua et Nathan font partie des personnages principaux et ils auront chacuns leurs chapitre approprié :)
    J'espère que le chapitre 2 t'a plu parce que les autres ressembleront plus à celui là : il n'y a qu'Océane qui est naïve et enjouée à ce point, les autres ont tous des vies horribles (sans te spoiler)

    En tout cas merci pour tes commentaires, je suis hyper contente que ça te plaise !  

    3
    Manon(Myuii)
    Mardi 9 Juillet 2013 à 09:13

    Comme toujours ton histoire est à couper le  souffle, on sait que l'on doit s'attendre à quelque chose, mais jamais à quoi. Par exemple ici, la famille modeste et le frère en prison, et l'on se sait même pas pourquoi il est en prison. Comme je te l'ai dit sur ton autre blog, tu sais vraiment comment faire pour que le lecteur s'accroche à ta fiction et continue de te lire !

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